Première Pierre

Nous sommes tous conscients des contradictions du système dans lequel nous vivons. En matière d’environnement, nos pratiques sont stigmatisées et nous sommes sommés quotidiennement de faire des efforts sur nos modes de consommation. Pourtant, nous savons que des efforts personnels, même contraignants, ne seront pas à la hauteur des défis de demain. Au contraire, ces discours moralisateurs finissent par être contre-productifs et participent de notre passivité. Face à cette situation, nous pensons que de nombreux axes d’amélioration sont à trouver pour faire coïncider nos envies écoresponsables et les moyens à notre disposition.

Pour atteindre cet objectif, certains prônent une réduction drastique de la consommation, adossée à une pensée globale de la décroissance. Nous pensons au contraire que faire machine arrière est illusoire : de nombreux besoins étant devenus indispensables à l’accomplissement de chacun, un modèle décroissant ne nous permettra pas de relever l’ampleur de ces défis contemporains. Afin de nous permettre de véritablement exercer une consommation raisonnée, responsable et active, ne serait-il pas plus urgent d’inventer les moyens d’action des consommateurs de demain ?

Cette vaste question se concrétise encore un peu plus à la lumière d’un constat stupéfiant : chaque année en France, dans le secteur du BTP, la valeur des produits neufs jetés représente plus d’un milliard et demi d’euros. L’agroalimentaire, le textile ou l’industrie culturelle sont autant d’exemples de secteurs enfermés dans les mêmes contradictions. Nous ressentons tous l’instabilité, non seulement écologique, mais aussi sociale et économique, qu’il y à perpétuer ces déséquilibres à grande échelle. De tels incohérences dans les échanges de biens, de services ou d’informations peuvent profondément mettre à mal les fondements de nos sociétés. Des modalités d’action concrètes, adaptées à nos individualités, restent donc à trouver.

 

Du contrat à la contrainte

Qu’est-ce qui constitue de la valeur ? C’est une question que toutes les sociétés, à toutes les époques, ont eu à se poser. De tout temps, les individus se sont unis pour créer de la valeur, sous forme de connaissance, de savoir-faire, d’objets. Pendant une grande partie de l’humanité, cette production de valeurs était peu encadrée et s’appuyait sur des initiatives locales dépourvues de coordination. Il n’y a pas si longtemps, c’est à l’Etat-nation que nous avons confié cette tâche : c’est de ce mandat que naît le contrat social.

Ainsi, de la révolution française à la seconde guerre mondiale, c’est l’âge du monopole étatique de la valeur : à travers des institutions fortes comme l’industrie, l’armée ou la prison, l’Etat dictait ce qui était digne de valeur et ce qui ne l’était pas. La création de la monnaie comme unique moyen d’échange, ou celle du système ferroviaire comme seul moyen de transport, sont des exemples illustrant bien ce caractère exclusif, voire autoritaire, de l’appareil étatique.

A cette époque, l’Etat contrariait les corps, disciplinait les individus et façonnait les pensées : c’est ce que le sociologue Zygmunt Bauman qualifie de « modernité solide ». Il décrit ainsi cette période comme celle d’un « Etat jardinier », qui s’applique à exécuter des plans prédéfinis afin d’obtenir le jardin le plus conforme possible. Par contrainte, centralisation et priorisation permettaient ainsi de régir unilatéralement la création de valeur.

 

Changement de main

En réaction aux drames de l’histoire, les Etats décidèrent d’une nouvelle orientation : confier aux marchés la régulation de la création de valeur. A travers le libre choix sans contrainte et la main invisible du marché, ce sont désormais les individus eux-mêmes qui définissent la valeur. Accompagnant l’apparition de la consommation de masse des années 1950, l’avènement d’un marché international et autonome a bouleversé les rapports humains, les modes de production et les modes de communication associés. Le but n’est plus de contraindre le citoyen mais de séduire le consommateur. Cette communauté de consommateurs, où l’individu est libre de gérer ses propres modes de consommation, est la définition de ce que Zygmunt Bauman appelle la « société liquide ». C’est l’époque du lave-vaisselle, de la télévision et de la performance, mais également de l’excès et du déchet. Dans ce passage de la contrainte à la séduction, l’Etat n’est plus jardinier, il a dorénavant un rôle de simple « garde-chasse » : il s’assure du bon encadrement du marché, mais ne s’immisce pas dans les choix des consommateurs. « L’avènement du consumérisme annonce l’époque de « l’obsolescence intégrée » des biens proposés sur le marché, il est le signe d’un spectaculaire développement de l’industrie du traitement des déchets. […] La plupart des objets de valeur perdent bien vite leur lustre et leur charme. Pour peu qu’on tergiverse, ces objets risquent de ne plus être adaptés qu’à la poubelle, avant même qu’on ait pu en jouir »1. A travers son culte de la nouveauté, le consumérisme s’accompagne donc d’une culture du rebut, qui rend possible le fait de jeter des matériaux parfois neufs et propres à la consommation. Dans cette configuration, laissée à elle-même, cette « société liquide » peut mener à certains excès ou déséquilibres que l’on constate aisément. Les potentielles dérives de cette société de consommateurs ne se nichent plus dans la figure de l’Etat, mais bien en chacun de nos modes de consommation. Y a-t-il lieu de s’alarmer de cette mutation sociétale ?

 

La société de consom’action

1 Bauman, Zygmunt, S’acheter une vie, Paris : Editions Jacqueline Chambon, 2008, pp. 46-47.

On pourrait le croire, au vu de sacs entiers de chaussures lacérées parce qu’invendues, de poubelles remplies de denrées consommables javélisées à quelques mètres de personnes dans le besoin, de produits culturels envoyés à la destruction avant même d’avoir été ouverts, etc. Pour autant, cette société de l’accumulation effrénée et de la mise au rebut immédiate du surplus, est aujourd’hui mise en échec. Depuis quelques années maintenant, les consommateurs sont attirés par des produits de caractère éthique, bio, durable, authentique, équitable, mettant en jeu leur propre responsabilité. Il semble donc qu’une nouvelle ère succède à la période précédente : il n’y a plus de plaisir à simplement consommer, jeter, puis recommencer. La consommation raisonnée, attentive à l’origine ou à la fabrication de nos produits, est désormais omniprésente. Aujourd’hui, la valeur a donc changé de camp : elle ne prend plus ses racines dans un marché désincarné à la main invisible, elle se situe au sein d’une consommation raisonnée, située, assumée. C’est la naissance de la consom’action, qui privilégie le temps long, les circuits courts et les rapports humains authentiques. Les consommateurs d’aujourd’hui ont désormais pris conscience de leur pouvoir, ainsi que du lien qui les unit. En effet, l’inclusion du plus grand nombre au cercle vertueux de la consom’action est la condition sine qua non d’une véritable transformation des mentalités. Une nouvelle communauté est donc en pleine émergence, celle de la contribution à un monde responsable ou en un mot celle des consom’acteurs du quotidien. Cette communauté émergente est déjà riche d’initiatives valorisant cette dynamique. C’est le cas par exemple de TooGoodToGo : les consom’acteurs utilisent cette plateforme responsable afin de profiter d’offres alimentaires à prix réduit, constituées des invendus du jour dans les commerces de proximité. La marque Hylla Penderie propose quant à elle une gestion collective de sa garde-robe sous forme d’abonnement pour éviter la consommation effrénée et la mise au rebut de vêtements réutilisables. Dans le domaine des biens culturels, Momox s’impose comme la plateforme pour remettre dans le cycle de consommation nos livres et dvd dormants, neufs ou d’occasions, via un processus simplifié pour faciliter la démarche, parfois fastidieuse, du consom’acteur. Enfin, la marque Asphalte fait de ses clients les acteurs de la conception des produits et ajuste sa production au regard de la demande réelle, via des partenaires eco-responsables. « Nom du projet » Durant des années, Romain n’a eu de cesse de constater dans son entreprise de BTP les volumes impressionnants de matériaux neufs, voués à être jetés à la déchetterie. Fort de cet état de fait, et suite à une rencontre avec Stéphane, spécialiste des plateformes digitales, les deux associés ont souhaité résoudre ce point de friction en développant un concept responsable. Ainsi, les stocks inutilisés retrouvent la fonction à laquelle ils étaient destinés lors de leur fabrication : nous proposons de redonner du sens à la production en donnant une utilité à chaque produit. Notre réponse concrète est donc de « réveiller » ces oubliés de la production, ces « produits neufs dormants », ces biens invisibilisés qui ont pourtant une valeur marchande. Réhabiliter des produits neufs mis au rebut car mal optimisés, puis les réinclure dans le cycle de la consommation, tels sont les priorités d’une « industrie de la construction responsable ». Si ce constat est largement partagé par les acteurs du secteur, les quelques moyens mis en oeuvre jusqu’à présent n’ont toujours pas convaincu la communauté d’utilisateurs. « Nom du projet » promet d’offrir à ses membres un flux de marchandises suffisants pour combler tous les besoins, et ainsi de relever le défi de notre temps : trouver « l’équilibre responsable » de nos modes de consommation.

Ce changement des comportements, en vue d’une véritable économie circulaire et efficace, est à portée de tous. D’abord, un outil intuitif et rapide de gestion des stocks permet de recenser et tracer en temps réel l’ensemble des produits neufs issus des retours de chantier. Ensuite, la possibilité pour chacun de mettre en vente tout ou partie de ses produits à destination des entrepreneurs de la région ainsi que des bricoleurs particuliers ou artisans. Ainsi, nous prévoyons qu’une partie de plus en plus significative des retours-chantiers puissent retrouver le chemin de l’utilisation afin de ne pas générer de déchets couteux en taxe carbone, frais de recyclage, etc. « Nom du projet » est donc sans contrainte ni perte de temps : à travers un service pratique et fiable, les membres de notre communauté font des économies et servent le bien commun dans le même geste.

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